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De la collection d’individus au groupe solidaire

par | 19 Juil 2017 | Articles

GHT : De la collection d’individus au groupe solidaire

Un pari gagnant/gagnant pour l’hôpital !

Dr Christophe Chapuis, Médecin urgentiste , Sapeur-pompier , Facilitateur de l’intelligence collective

Michèle Vielfaure-Chapuis, Coach professionnelle certifiée

La loi du 26 janvier 2016 a créé les groupements hospitaliers de territoires (GHT) (1) afin de permettre une égalité d’accès aux soins sur un territoire de santé. Les hôpitaux concernés par ces GHT ont dû s’inscrire dans un partage de vision de l’offre de soins de territoire nécessitant une analyse récursive afin de structurer un projet médico-soignant fonctionnant en réseau. Mais les établissements sont-ils prêts ?
Comment directeurs, médecins, soignants peuvent-ils donner du sens à l’action commune et se développer en équipe performante ? Le rassemblement en « GHT » nécessite des transformations profondes hospitalières et une re-construction collective des réalités hospitalières.

Les établissements de santé sont par nature des structures pyramidales dont la préoccupation générale est centrée sur l’expertise et la compétence individuelle, avec un faible niveau de performance collective. Ils ne sont pas prêts au changement culturel et organisationnel que représente la révolution des GHT. Comment l’hôpital peut-il gérer ce paradoxe d’avancer en marche forcée vers le GHT, dont la philosophie principale est le réseau, alors que le stade de développement des équipes hospitalières ne le permet pas ? Il existe à ce stade un risque de déstabilisation des structures à imposer un changement systémique à des équipes en questionnement. La démarche d’intelligence collective tournée vers ce projet des GHT ne se décrète pas, même par des leaders convaincus ! On trouve trop souvent dans nos structures un directeur ou un DRH qui ne permet pas à ses équipes la coresponsabilité des projets. Ou encore un préfigurateur de GHT qui décide personnellement des objectifs à atteindre pour l’écriture du projet médico-soignant… Bref, il faut sortir de cette culture pyramidale qui laisse le pouvoir aux décideurs de ce qui serait bon de faire pour tous. Parfois, ceux-ci peuvent être dans l’ignorance (faute de formation adéquate) ou le déni de la diversité et des réalités des métiers, des fonctions, des  expériences des acteurs professionnels au préjudice d’une construction collective.

Si au départ une grande liberté a été laissée aux établissements de santé pour dessiner les périmètres des GHT, les agences régionales de santé (ARS) ont décidé seules de la stratégie d’accompagnement. Ce processus est vécu dans bon nombre d’établissements comme une contrainte. Pour autant, le préalable à ce bouleversement hospitalier n’a pas respecté un temps obligatoire : l’apprentissage organisationnel. Car si le développement du changement est possible, les équipes sont des ressources extraordinaires, cette mutation est complexe et donc nécessairement progressive. Les spécialistes des organisations disent qu’il faut entre quinze et vingt-cinq ans pour faire changer le stade de développement d’une organisation là où nos dirigeants souhaitent finaliser les GHT en deux ans !

L’hôpital est une structure qui se base sur une approche par planifications et cibles, où les logiques sont l’ordre et l’obéissance. C’est également une organisation mécaniste bureaucratique, avec un fonctionnement d’entreprise pyramidal et une centration sur le contenu. Le mode de pensée de nos établissements dépend de logiques linéaires où en permanence, on recherche les « causes ». Les acteurs du système hospitalier représentent une collection d’individus, experts dans leurs spécialités mais avec une logique d’excellence individuelle et un niveau de performance collective faible. On le remarque d’autant plus dans les situations de crise où cette organisation très hiérarchisée est nécessaire pour produire des résultats. Mais dans nos hôpitaux, on pense « monologique » (c’est soit ceci, soit cela !). La valeur de l’entreprise est la technique, le management y est plutôt coercitif, hiérarchique, bref un management de compromis.  Or, l’hôpital a dû nécessairement s’adapter aux modifications sociétales et réglementaires depuis soixante ans. Il s’est ajusté au gré des évolutions en mettant en place des changements de niveau 1 qui permettent de maintenir l’homéostasie et son équilibre (2), comme le définit Gregory Bateson, figure de proue de l’École de Palo Alto. En boutade, on pourrait dire : plus ça change et plus c’est la même chose, car les solutions proposées contribuent à enclencher des mécanismes régulateurs permettant de maintenir le système en l’état.

Le changement culturel et organisationnel nécessaire pour construire le GHT ne peut pas venir du système lui-même par régulation et par des mesures habituelles d’autocorrections et d’ajustements : la crise se profile et cela signifie qu’il faut d’ores et déjà imaginer des changements d’un autre niveau dit (niveau 2). Cet apprentissage résulte d’une nouvelle construction de la réalité, il est l’aboutissement d’un recadrage qui, en libérant la dimension créative de l’individu, génère d’autres réponses plus appropriées. C’est le principe de l’échelle d’inférence dans la pensée constructiviste (3). En pratique, si l’hôpital ne s’adapte pas au système, il tombera gravement malade et laissera le champ libre à une approche plus libérale de notre santé collective.

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En effet, l’organisation d’un GHT représente un stade de développement structurel très loin de notre système hospitalier actuel. Pour que cela fonctionne ; il est nécessaire que l’approche soit constructiviste et émergente, la logique devient celle de la coresponsabilité, car l’organisation est systémique et complexe. Le fondement de ce type de fonctionnement s’appuie sur le réseau car la centration de l’entreprise et des équipes qui la composent est partagée par l’intention, articulée autour d’une vision à faire ensemble : ici, une égalité des soins et une offre de qualité sur le territoire. La logique d’appartenance à de telles structures est multiple et devra favoriser la culture de la reconfiguration permanente des équipes. Cette dynamique managériale permettra d’évoluer vers un haut niveau de performance collective et une grande autonomie.

Les équipes qui composeront ces organisations travailleront une vision partagée, les leaders porteront le « sens » donné au GHT. Afin de parvenir à des organisations résiliaires, nous devrons passer d’une logique monologique à une logique téléologique dite « logique des finalités». Alors nous pourrons partager la valeur de cohérence dans les organisations où les équipes pourront s’identifier à la structure, à son écologie et à ses finalités.

L’organisation apprenante doit présenter les caractéristiques suivantes :

  • une prise de risque par les structures hospitalières de ne pas prévoir le parcours. Le contenu sera de co-élaborer avec les groupes de travail ;
  • une confiance dans la capacité des hommes à mobiliser l’intelligence collective pour parvenir à l’objectif ;
  • la transformation des groupes en équipes performantes portées vers un projet final créatif et innovant ;
  • une augmentation de l’autonomie au service de la motivation des équipes ;
  • la notion d’apprentissage et de pédagogie du retrait permet aux leaders de prendre du recul par rapport aux processus. Chacun est co-responsable et porteur de la vision et des finalités du projet ;
  • un accompagnement personnalisé par des spécialistes du changement des organisations permettant de travailler sur le sens et la vision partagée (4).

La transition des hôpitaux vers les GHT, sans transformation organisationnelle préalable, risque de déstabiliser profondément les établissements et ne leur permettra pas de pratiquer des changements de niveaux supérieurs qui déboucheraient par la modification même du système.

« Il ne faut pas simplement accélérer le véhicule mais lui redonner de la puissance afin de passer la côte abrupte. »
Toute cette période nécessite une clarification des règles qui régissent les structures hospitalières en co-construction et transparence. Ainsi, il apparaît nécessaire de faire accompagner les structures hospitalières par des spécialistes du changement organisationnel et de s’appuyer sur les « colibris » internes aux structures pour questionner et faire évoluer les organisations (5). Ces disséminateurs de l’intelligence collective expérimentent d’autres façons de prendre des décisions. La notion du travail change, les acteurs hospitaliers peuvent s’épanouir dans des activités qui ont du sens et qui participent au bien-être au travail. Ils peuvent peser sur les transformations dont l’hôpital a besoin pour grandir (6). Les responsables d’établissements doivent accompagner ce chaos engendré par la nouvelle organisation des GHT en participant au travail de vision collective au service du sens (7). Ils deviendront des responsables porteurs de sens comme identifiés par Vincent Lenhardt. Il est temps d’utiliser la « métanoia (8) » dans nos organisations.

 

Notes

(1) J.-P. Dewitte, « La mise en place des GHT : où en est-on ?», Gestions hospitalières, mai 2017.

(2) https://penserlechangement.blogspot.fr/2009/12/les-deuxtypes-de-changement.html

(3) P. Senge, La Cinquième Discipline, Eyrolles, 1994.

(4) https://www.kelsens-c.com

(5) P. Rabhi, Colibris-lemouvement.org

(6) Enagora, formation « Facilitateur de l’intelligence collective ». https://www.didascalis.com

(7) V. Lenhardt, Les Responsables porteurs de sens, Éditions d’organisation, 2002.

(8) P. Rabhi, Colibris-lemouvement.org

 Article paru dans  Gestions hospitalières n°568 – août/septembre 2017

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